L'humeur du jour



Journalisme et responsabilité

Peut-on tout justifier au nom de la liberté d'expression et de la liberté de la presse? Pourquoi les médias décident de relayer une information plutôt qu'une autre? L'argument du droit à l'information apparaît purement démagogique dans le dossier des caricatures; parce que finalement, en quoi ces caricatures nous apportent-elles un éclairage sur la religion musulmane?
Une caricature prend du sens dans un contexte précis. Sortie de ce contexte, le dessin perd de son sens premier et on en retient que le côté subversif. En relayant ces dessins, les médias n'ont fait qu'attiser le feu.
Ce n'est non sans une certaine ironie que certains journaux clament à qui veut l'entendre qu'ils n'auraient jamais publié les dessins s'il n'y avait pas eu de polémique; la plupart d'entre eux reconnaissant, qui plus est, la médiocrité des dessins.  Alors, qu'est ce qui est recherché finalement? Le coup médiatique? Un meilleur tirage?
La religion est un sujet hautement polémique, et le contexte politique du Moyen-Orient particulièrement instable. Ainsi, la réaction hostile du monde Musulman était prévisible, tout comme on pouvait prévoir, sans même être journaliste, que les extrêmistes religieux allait s'emparer du sujet pour mettre à feu et à sang le Moyen-Orient. Et quelle image les médias relaient-ils de l'Islam en ce moment? L'opinion publique ne risque d'en retenir que haine et violence.
La liberté d'expression est une chose, la déontologie journalistique en est une autre. Il aurait sans doute été possible d'évoquer la polémique sans publier les dessins, comme ces mêmes journalistes font lorsqu'ils décident de ne pas montrer certaines images jugées trop choquante.


 
La déontologie de la presse est loin d'être universelle. Elle reste tributaire de la culture de chaque pays. La fille cachée de Mitterand en est une bonne illustration. L'existence de cette enfant était connue de longues dates par bien des journalistes (et politiques), mais aucun n'a relayé l'information durant le premier mandat du Président. Gageons que la ré-élection de Mitterand aurait été plus difficile si l'existence de sa fille avait été révélée. Mais il s'agissait de la vie privée d'un homme, nous disait-on. Cependant, le secret médical fait partie intégrante de la vie privée; on a pourtant âprement reproché à Mitterand d'avoir caché son cancer au prétexte que les fonctions présidentielles impliquent d'être sain de corps et d'esprit.
Doit-on en déduire que l'honnêteté n'est pas une compétence requise pour être Président? Car enfin, Mitterand avait présenté aux français sa famille. . . 
Seulement en France, on ne touche pas, ou peu, à la vie "intime" des hommes politiques, ce qui n'est pas le cas en Angleterre pas exemple. Là-bas, il faut montrer patte blanche et les journalistes politiques n'hésitent pas à attaquer sur ce terrain. 
Ceci démontre bien que le droit à l'information est loin d'être un absolu et s'applique selon le bon vouloir des rédactions en fonction d'enjeux qui sont loin d'être motivés par la seule notion de liberté de la presse.
La publication des caricatures du prophète relève donc de choix éditoriaux. Et les directeurs de publications ne pouvaient pas ignorer les effets dévastateurs d'une telle parution au regard de la situation politique au Proche-Orient et la montée de l'extrémisme religieux.
La liberté d'expression est une valeur capitale qu'il faut défendre. Mais il est de la  responsabilité de chacun de ne pas véhiculer des valeurs susceptibles d'attiser la haine entre les peuples. Et les médias n'échappent pas à la règle.


Cette affaire des caricature nous rappelle combien l'information mondialisée peut avoir des effets pervers. Elle met surtout en évidence, et de manière parfois violente, les différences culturelles entre les peuples.
Il y a à peine un siècle, on ne savait pas ce qui se déroulait dans le pays voisin. Aujourd'hui, on peut vivre en direct tout ce qui se passe à l'autre bout de la terre. Paradoxalement, cela ne rapproche pas toujours les hommes. Cela met également en lumière toutes nos différences, ce qui peut parfois accentuer le sentiment d'appartenance à une communauté; parce que l'inconnu fait peur, parce que l'on ne se retrouve pas dans les coutumes des autres. C'est ce qui fait dire au sociologue Dominique Wolton que "la fin des distances physiques révèle l'incroyable étendue des distances culturelles."
L'autre danger de l'information mondialisée est de pouvoir faire l'économie de l'analyse. À force de vivre les événements en direct, on perd l'habitude de la réflexion. On en a même plus le temps, car une image vient en remplacer une autre. Cette immédiateté de l'image participe de l'information spectacle et nous amène à être les victimes malgré nous de l'utilisation des médias par des groupes terroristes. Les attentats du 11 septembre en sont un témoin récent. En diffusant en direct les images des tours en feux, les télévisions du monde entier ont servi d'attaché de presse à des terroristes qui étaient finalement peu connus du grand public avant ces attentats.
La vigilance doit donc être de rigueur dans la diffusion de l'information si l'on ne veut pas se faire l'avocat involontaire de groupements extrémistes plus ou moins isolés qui trouvent dans les médias un formidable moyen de diffusion de leur propagande.
À lire, Il faut sauver la communication, de D. Wolton (Ed Flammarion)

 


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16.02.06







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